
Celia Izoard
« Merci de changer de métier »,
2020
(Parution le 20/10/2020)
Merci de changer de métier. C’est le titre du dernier livre de Celia Izoard qui sort en librairie le 20 octobre 2020. Celia Izoard est journaliste et traductrice (sa nouvelle traduction de « 1984 » de George Orwell paraît en janvier 2021).
Avec ce titre légèrement provocateur, l’autrice souhaite interpeller les chercheurs et les ingénieurs (l’utilisation du masculin est remarquablement justifié dans la préface du livre) qui développent les nouvelles technologies de la robotique. Elle les invite à prendre conscience qu’ils changent le monde par leur travail et elle leur propose de se questionner sur l’intérêt sociétal de ces technologies.
Le premier chapitre est une lettre ouverte qui leur est adressée. Elle ne les enjoint pas à déserter l’ingénierie ou la recherche en robotique, mais à placer la question de la finalité de leur travail au premier rang dans la liste de leurs préoccupations professionnelles. C’est à dire avant même le plaisir qu’ils pourraient éprouver à l’activité créative du développement de nouvelles technologies.
Elle les amène à s’interroger sur l’intérêt sociétal des applications de leur travail, sans bien entendu se satisfaire des discours de greenwashing des services de communications de leur entreprise. Mais de le faire en toute bonne foi, sincèrement, et en usant de leur esprit critique. Elle en appelle sans le dire à une éthique de l’ingénieur.
Ainsi l’autrice propose des alternatives à la robotique, basées par exemple sur les low-tech. Plus généralement elle invite à penser une technologie qui soit guidée par l’intérêt sociétal et qui ne participe pas à construire des futurs qu’on sait par avance obsolètes.
Les deux chapitres suivants sont des lettres (déjà parues dans le numéro 9 de la revue Z) que l’autrice adresse à des chercheurs en robotique du LAAS, Philippe Souères et Jean-Paul Laumond, après s’être entretenue avec eux sur la nature de leur activité. Elle les invite à prendre conscience que leur recherche n’est pas neutre, et que la conviction que l’activité du chercheur se résumerait à produire des connaissances est une illusion qui au fond les arrange bien. Celia Izoard essaie de leur faire voir que par leur travail ils contribuent à des changements sociétaux et qu’ils ne peuvent feindre de l’ignorer. Ainsi, elle considère qu’ils adoptent des postures de protection, notamment celle du « chercheur artiste » devant créer librement, qui leur permettent de se défaire de leurs responsabilités. Des responsabilités que devraient seules endosser les entreprises qui utilisent leurs résultats de recherche afin de développer de nouvelles technologies.
Le troisième chapitre est une lettre fameuse rédigée par Norbert Wiener, chercheur renommé en mathématiques au MIT dans les années 50, qu’il adresse le 13 août 1949 au président du principal syndicat américain de l’automobile. Dans cette lettre il le met en garde contre la possibilité d’une automatisation de la construction automobile et ses effets sur les travailleurs dans ce secteur. Il se propose de l’aider pour que cette technologie robotique soit développée par les syndicats plutôt que par d’autres entreprises qui monnaieront cette technique auprès des constructeurs automobiles, sans prise en compte des intérêts des travailleurs. Plus de 70 ans après, cette lettre, reproduite par exemple sur ce site, montre tout à la fois que des chercheurs furent soucieux à ce point des applications de leur travail, et le peu d’effet que cela a eu sur le cours du développement technologique.
Le dernier chapitre du livre est un entretien que j’ai eu avec Celia Izoard, au cours duquel je lui ai expliqué pourquoi il m’est un jour devenu nécessaire de changer de travail.
J’avais moi-même posé ces questions de l’intérêt sociétal des technologies que nous mettions au point dans l’entreprise pour laquelle je travaillais. J’avais demandé à pouvoir les étudier avec le même sérieux que celui que nous mettions dans le développement de ces technologies.
Et j’ai compris que pour motiver l’engagement de l’entreprise dans ces sujets il faudrait une contrainte qui soit aussi forte et vitale que celle que représente la contrainte économique de rentabilité. Autrement dit, rien ne se passerait.
Or étant donné que selon moi le travail est politique (comme je l’explique dans ce texte sur la dimension politique du travail), il me fallait changer de travail, afin d’aligner la finalité de celui-ci avec la direction qui me semble devoir être prise pour bâtir une société juste et soutenable.