La vaccination généralisée contre le Covid est un remède anthropocénique : on soigne le symptôme pour mieux éviter de s’interroger sur les causes, qui elles sont liées à l’activité humaine.
La manière dont le remède est administré, au travers du pass sanitaire et d’un ensemble de restrictions qui ne disent pas leur nom, doit nous interroger sur la façon dont d’autres remèdes anthropocéniques pourraient à l’avenir être imposés.
On pense notamment à la géo-ingénierie qui pourrait elle aussi « sauver des millions de vie », face au changement climatique cette fois.

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Plusieurs raisons sont généralement invoquées pour expliquer que la vaccination contre le Covid n’ait pas suscité plus d’engouement lorsqu’elle est devenue accessible à la majorité de la population  : des doutes légitimes quant aux effets à long terme des différentes vaccins dans l’organisme et à leur capacité effective à éradiquer définitivement l’épidémie1 ; pour les plus jeunes, le fait que les formes graves de la maladie affectent en majorité des personnes âgées ou atteintes de facteurs de comorbidité.

Face à ce manque d’enthousiasme, qualifié de « retard Français », le gouvernement a déployé avec l’instauration du pass sanitaire une méthode particulièrement odieuse pour contraindre la population à la vaccination au travers de restrictions qui ne disent pas leur nom. Ce dispositif, qui prend aujourd’hui l’allure d’une guerre d’usure, vient grossir la liste des raisons expliquant la défiance envers la vaccination, car si n’était pas à la vaccination qu’on s’opposait, cela pourrait être à sa politique de mise en œuvre, conduisant au même résultat.

On peut encore ajouter une autre raison, rarement discutée, mais en réalité fondamentale : le choix de la vaccination généralisée nous fait plonger encore un peu plus profond dans l’Anthropocène, cette ère caractérisée par le fait que l’activité humaine est devenue la principale force des changements biophysiques sur Terre.

Le Covid-19, un virus anthropocénique

Très tôt, la pandémie a été présentée comme un symptôme de l’Anthropocène. Que ce soit l’origine du virus2 ou sa diffusion rapide à l’échelle mondiale (qui est le fait de l’intense mobilité des personnes), le Covid-19 est un virus caractéristique de l’Anthropocène.

Face à ce nouveau symptôme de l’Anthropocène, apparu de façon subite, on aurait pu penser qu’enfin allaient s’enclencher les nécessaires transformations sociales et culturelles ouvrant la voie à d’autres modes de vie respectueux des équilibres de la biosphère. De nombreuses personnes se sont ainsi plu à imaginer ce fameux « monde d’après », qui commençait par laisser au sol la plupart des avions, pour voir ensuite l’économie se démondialiser, et pour qu’enfin la société emprunte le chemin d’une décroissance choisie et de la sobriété heureuse.

Ce « monde d’après » était si ardemment désiré, que si, pour en franchir le seuil, il avait fallu injecter à toute la population un ultime vaccin, qui nous garantisse, comme on pouvait le lire sur les murs de la population confinée, qu’il n’y aurait « pas de retour à l’anormal », beaucoup ce seraient empressés de se faire vacciner, par devoir citoyen.

A virus de l’Anthropocène, remède anthropocénique

L’Anthropocène n’est pas une maladie dont on guérira grâce aux techniques de la médecine moderne. Et le « monde d’après » est une utopie qu’aucune injection ne saurait faire advenir.

Pourtant, dès le début de la pandémie, la seule voie de sortie envisagée a été celle de la vaccination généralisée : il s’agissait de contenir la diffusion du virus par le confinement, dans l’attente qu’un vaccin soit trouvé.

Ce choix s’inscrit en fait dans un cadre plus général, celui de l’approche techno-solutionniste, qui consiste à toujours privilégier les solutions technologiques pour résoudre un problème3. Ainsi, face à l’urgence de la situation, on repousse sine die l’analyse des causes qui pourraient expliquer comment nous en sommes arrivés là. C’est le propre des approches techno-solutionnistes : elles écartent du champ des possibles les transformations sociales qui, seules, permettraient d’éviter que la catastrophe ne survienne, de telle sorte qu’une fois mis au pied du mur, devant un risque menaçant directement des millions de vie, la seule solution envisageable soit effectivement la solution technologique, le remède anthropocénique.

Le techno-solutionnisme est en outre caractérisé par son imbrication avec le capitalisme : chaque solution technique représente de nouvelles opportunités de marché et de nouveaux vecteurs de croissance économique, contribuant à la dynamique du techno-capitalisme.

Plusieurs facteurs peuvent faire considérer que la vaccination généralisée contre le Covid appartient effectivement à la catégorie de ces remèdes anthropocéniques produits par le techno-capitalisme :

  • Les promesses d’éradication semblent plus difficile à tenir qu’escompté. Aujourd’hui on parle déjà de troisième dose de rappel, sans doute plus… qu’il faudra inoculer à toute la population mondiale (alors que de personnes fragiles n’ont pas reçues leur premières doses, montrant par là-même que le remède anthropocénique choisit ses bénéficiaires, qui doivent être solvables).
  • En se concentrant sur la vaccination généralisée, d’autres possibles ont été écartés : protection ciblée des personnes fragiles (confinement ciblé et vaccination ciblée), investissement massif dans le secteur hospitalier (et revalorisation significative des professions de santé), et à plus long terme, prévention d’ampleur des facteurs de comorbidité.
  • C’est une approche qui consiste à traiter le symptôme sans interroger les causes. Faire ce constat ne signifie pas nier l’efficacité du vaccin par rapport à sa finalité, c’est au contraire souligner qu’il s’attaque exclusivement au symptôme (au virus), et qu’il ne se préoccupe pas des causes (mondialisation, hyper-mobilité, exploitation animale, …).
  • La solution technologique s’impose comme un choix moral étant donné l’urgence et la criticité de la situation, et elle sollicite un sens de la responsabilité individuelle au nom de l’intérêt général.
  • Enfin, caractéristique majeure du remède anthropocénique, son couplage avec le technocapitalisme, illustré ici par les profits réalisés par les entreprises pharmaceutiques et les enjeux autour des brevets.

Soulignons que cette analyse ne consiste pas à s’interroger sur l’efficacité ou non du vaccin, sur son innocuité ou non, mais plutôt à réfléchir au monde façonné par l’application de ces politiques anthropocéniques : un monde dans lequel on accepte de ne pas chercher à éviter que les catastrophes surviennent, on accepte de les laisser advenir, car on pense qu’à la fin « c’est la recherche qui gagne »4.

La géo-ingénierie, prochain remède anthropocénique

Quel sera le prochain symptôme pour lequel un remède anthropocénique sera de nouveau préconisé ? Imaginons l’année 2030 : environ + 1,7 degré de réchauffement par rapport à la période pré-industrielle, sécheresse mondiale, stocks de céréales au plus bas, des millions de personnes décédant de famines dans des régions jusque-là épargnées. Que faire pour éviter que le nombre de victimes ne croisse encore l’année suivante ? Il apparaît déjà que la géo-ingénierie5 sera le remède anthropocénique du réchauffement climatique. Le procédé argumentaire sera encore une fois le même : face à la gravité et à l’urgence de la situation, la seule manière d’éviter des millions de morts est la solution technologique. Et tant pis si la solution n’est en pas une, c’est-à-dire si elle engendre d’autres problèmes qu’il faudra résoudre avec d’autres technologies.

Le pass-sanitaire marque un tournant dans les politiques anthropocéniques

Cependant, l’instauration du pass sanitaire marque dès aujourd’hui un tournant radical dans la mise en œuvre des politiques anthropocéniques. Jusqu’à présent, on avait la possibilité, en France, d’adopter un mode de vie qui s’oppose à ces politiques tout en étant pleinement intégré à la société. Des initiatives aussi modestes qu’une AMAP ou aussi ambitieuses et engagées qu’une ZAD permettaient à des centaines de milliers de personnes de participer à la société tout en refusant certains de ses aspects, et de développer activement des alternatives aux politiques anthropocéniques.

Avec le pass sanitaire, quelque chose de cette résistance intérieure est rendu impossible. Emprunter des livres dans une bibliothèque municipale non seulement ne détruit pas la planète, mais est même très utile pour dessiner des chemins de traverse qui dévient de l’anthropocénisation insoutenable du monde. Pourtant, aujourd’hui, vous ne pourrez pas entrer dans les grandes bibliothèques sans prendre part à la politique anthropocénique que constitue la vaccination généralisée (la possibilité donnée à titre de sursis de présenter un test négatif est évidemment une contrainte démesurée pour des activités du quotidien, et la vaccination est une obligation qui ne dit pas son nom).

Œuvrer par son travail à l’ouverture de voies de bifurcation pourrait bientôt être conditionné à une participation active à la politique anthropocénique. Il n’est, par exemple, pas improbable qu’il faille un pass sanitaire pour enseigner à l’université assez rapidement après la rentrée.

Il y a fort à parier que ce tournant trace une nouvelle trajectoire pour la mise en œuvre de futurs remèdes anthropocéniques. Sans attendre la géo-ingénierie, pensons notamment à la promotion que connaît l’énergie nucléaire au motif que les énergies renouvelables ne se déploient pas assez vite 6 – un discours qui évacue les transformations sociales qui permettraient une réduction drastique de l’utilisation de l’énergie électrique. S’opposer ne serait-ce que verbalement à l’énergie nucléaire pourrait bientôt être considéré comme une position criminelle pour la raison que cette opposition ralentit la mise en œuvre de ce que certains considèrent comme la seule solution pour réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre.

Ces différentes politiques anthropocéniques, même si elles n’affectent pas directement les corps des individus comme le vaccin, ont ceci de commun qu’elles emploient les mêmes procédé argumentaires : l’appel à la responsabilité individuelle et au comportement citoyen face à la catastrophe, l’élimination des voies alternatives au techno-solutionnisme. Ce que montre l’épisode du Covid-19, c’est qu’elles peuvent revêtir un caractère totalitaire. À terme, le fait de ne pas participer activement aux politiques d’anthropocénisation pourrait entraîner l’exclusion, symbolique et physique, de la société. Dire avec Bartleby « J’aimerais autant ne pas »7 serait devenu interdit. Refuser de détruire la planète au nom de sa sauvegarde pourrait tout bonnement devenir illégal.


Notes

1Il n’y a pas de recul sur les effets à long terme des vaccins à ARN messager, qui sont d’un type différent des vaccins classiques, et le fait d’être vacciné n’empêche pas totalement de contracter la maladie et donc de transmettre le virus.

2Les principales hypothèses invoque un virus qui se serait échappé d’un laboratoire ou qui aurait transité par les élevages de visons, utilisant ces derniers comme hôtes intermédiaires (https://theconversation.com/origine-du-virus-de-la-covid-19-la-piste-de-lelevage-des-visons-153219)

3Les approches techno-solutionnistes ne résolvent d’ailleurs généralement pas les problèmes, elles ne font souvent que les déplacer, donnant parfois lieu à des problèmes de complexité supérieure. Un exemple en est donné aujourd’hui avec la « transition énergétique » vers l’énergie électrique, qui engendre des problèmes sociaux et environnementaux liés à l’extraction de minerais.

4Phrase prononcée par Etienne Klein au sujet des vaccins à ARN messager sur la matinale de France Inter le 12 mars 2021 : « cette pandémie nous montre qu’à la fin c’est la recherche qui gagne ».

5La géo-ingénierie consiste à lutter contre le réchauffement climatique en modifiant des propriétés biophysiques de la planète. Il s’agit notamment d’injecter dans l’atmosphère des aérosols réfléchissant la lumière solaire (sulfate, poudre de calcium…) ou d’ensemencer les océans avec du sulfate de fer pour favoriser la croissance de plancton absorbant du CO2. Voir par exemple Bourg Dominique, Hess Gérald, « La géo-ingénierie : réduction, adaptation et scénario du désespoir », Natures Sciences Sociétés, 2010/3 (Vol. 18), p. 298-304. https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2010-3-page-298.htm

6Voir par exemple https://reporterre.net/Comment-le-nucleaire-gagne-la-bataille-des-reseaux-sociaux

7Dans sa célèbre nouvelle « Bartleby le scribe », parue en 1853, le romancier américain Herman Melville décrit un personnage qui refuse de coopérer avec sa hiérarchie en répondant systématiquement aux demandes qui lui sont faites par la phrase « J’aimerais autant ne pas ». Cette phrase a notamment servi de slogan au mouvement Occupy Wall Street.

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