Entretien avec Jonas George, ingénieur de formation. Selon les heures de la journée il se définit comme constructeur d’alternatives politiques, artisan de la coopération, ingénieur en transitions, facilitateur en intelligence collective, … Jonas considère qu’il travaille à partir du moment où il fait quelque chose d’utile pour la société.

Quand on demande à Jonas de se définir par rapport à son travail, on pressent que la question n’a pas trop de sens pour lui. Jonas n’a « pas l’habitude de se définir par rapport à son travail ». Cependant il travaille, il met ses compétences, son temps, son énergie, sa créativité, au service de plusieurs activités.

Un axe commun à l’ensemble de ses activités est la coopération. Jonas est un artisan de la coopération, car « il manque beaucoup d’aptitudes à la coopération chez beaucoup de personnes pour qu’on arrive à transformer notre monde ».

Son travail se réparti en trois domaines : la transition énergétique, la « transition démocratique » et la facilitation en intelligence collective.

Jonas a participé à la création d’une coopérative de production d’énergies renouvelables, Citoy’enR, visant à accélérer la transition énergétique en développant des projets d’énergie renouvelables détenus et gérés par les habitants d’un territoire.

La transition démocratique consiste à « permettre aux habitants de se réapproprier la capacité de décider ». Jonas s’implique dans la dynamique Archipel Citoyen pour les élections municipales de 2020 à Toulouse, qui vise à permettre un fonctionnement démocratique de la ville, « de telle manière que ce soit les habitants qui décident et pas uniquement les élus ».

L’activité qui lui procure une rémunération est la formation et l’accompagnement dans les domaines de la « dynamique de groupes, gouvernance partagée, intelligence collective », au sein du collectif La Volte.

Jonas considère ces trois activités comme un travail, car « elles dégagent de la valeur pour la société, et que ça soit rémunéré ou pas, peu importe, il donne la même énergie, et le nomme travail ».

Alors qu’il souhaitait réduire son temps de travail, qu’il avait demandé le RSA qu’il considérait comme un « revenu universel pour ces activités non rémunérés sur l’équivalent de deux jours et demi par semaine« , Jonas a vécu des périodes de surcharge de travail (« burn-out »). Maintenant il sait mieux détecter les signaux et fait des pauses de déconnexion dans la forêt ou en montagne avant d’atteindre sa limite.

Jonas a fait une école d’ingénieur, l’INSA de Lyon, par intérêt pour les domaines de l’énergie, et aussi avec l’idée que cela donnerait une reconnaissance aux compétences et connaissances qu’ils pourrait acquérir. Son premier travail dans le domaine du développement des énergies renouvelables le met dans une position où il a « l’impression de contribuer à la destruction de l’environnement et de la société et des liens sociaux tels qu’il souhaitait les voir naître ». Certains projets n’avaient « aucune plus-value environnementale, l’entreprise aurait pu vendre des machines à laver plutôt que des centrales solaires ça aurait été la même chose ». Jonas a donc refusé plusieurs propositions d’emploi dans le domaine des énergies renouvelables, car il « ne se voyait pas mettre son énergie pour des projets qui allaient à l’encontre de ce qu’il aimerait voir naître ».

Etant donné que Jonas définit le travail comme le temps qu’il passe sur des activités qui apportent une valeur à la société, la dimension politique du travail est une évidence pour lui. Pour autant le fait de se sentir aligné entre ses convictions et ses différents travaux fait l’objet d’une négociation et d’une recherche permanente. Ses deux activités non rémunérées sont complètement alignées avec ses convictions (bien que « l’absence de rémunération n’est pas un gage de valeur sociétale ») et pour son activité rémunérée il cherche aussi une cohérence. Il ne souhaite pas avoir une activité d’ingénieur classique dans l’industrie qui lui procurerait un revenu lui permettant de mener par ailleurs ses activités non rémunérées. Au contraire, il cherche à montrer qu' »il est possible d’être rémunéré pour une activité alignée avec ses convictions ». Ainsi il accompagne dans le domaine de l’intelligence collective des collectifs engagés dans la transition, plutôt que des groupes industriels.

Jonas ne ressent pas de malaise avec le fait que son travail soit peu rémunéré car il a toujours vécu avec peu d’argent. Par contre il a pu être en colère en constant que « la reconnaissance de la qualité d’un travail se fait par sa rémunération ». Il a notamment ressenti cela dans le milieu associatif où certaines personnes sont rémunérées pour des tâches que d’autres font de façon bénévole, et il a remarqué qu’on accordait plus d’attention aux personnes rémunérées, indépendamment de la qualité du travail.

Alors qu’il ne sent pas fait pour vivre en ville, et son corps le lui rappelle régulièrement, Jonas fait tout de même le choix de vivre à Toulouse et de s’impliquer dans la construction d’un mouvement citoyen, car il trouve en ville une concentration d’alternatives qui présente un « potentiel collectif de transition énorme ». Il considère aujourd’hui plus intéressante l’idée de réaliser cette transition collectivement dans une ville plutôt que de créer une alternative en campagne qui pourrait être coupée du monde. De manière générale Jonas préfère « s’attaquer à de grosses montagnes, s’il sent qu’il y a de l’énergie autour pour pousser avec lui », et il se sent « le plus utile et le plus efficace quand il amène des personnes qui se questionnent vers l’action ».

Au sujet des personnes qui seraient en dissonance cognitive dans leur travail, Jonas pense qu’aborder la question frontalement en disant « c’est bien gentil, tu bosses quelques heures par semaine pour un supermarché coopératif ou des choses comme ça mais tu passes huit heures par jour à construire des machines qui extraient des minerais ou autre » est extrêmement violent et il n’en voit pas l’intérêt.

Jonas a remarqué que dans cette population d’ingénieur autour de lui « ceux qui avaient pris le temps de se poser un moment, étaient beaucoup plus alignés entre ce qu’ils pensent et leur travail. Prendre un temps pour se questionner sur ce qu’on est capable de faire à son échelle ».

Au-delà de cette question de l’alignement intérieur, Jonas a pu observer que « chez les personnes qui ont effectué un pas de côté il y a une bienveillance, une qualité de relation, qui est très intéressante ».

Notes

  • Entretien réalisé le 29 juin 2019
  • Jonas est candidat sur la liste Archipel Citoyen pour les élections municipales de Toulouse en 2020.