Entretien avec Alban Réveillé, paysan-maraîcher à Cazères en Haute-Garonne, sur le site de l’habitat groupé l’An01. Son travail revêt à ses yeux une dimension éminemment politique, d’une part au travers de son activité productrice, et d’autre part par ses engagements dans la formation et la transmission.

On a tout d’abord parlé de comment lui est venue l’idée de devenir paysan-maraîcher. Petit-fils d’agriculteurs il a toujours voulu vivre à la campagne et ressent dès l’adolescence le besoin de connecter son activité quotidienne à ses besoins. Ses bons résultats en maths l’amènent tout d’abord en classe préparatoire puis en école d’ingénieur en informatique. Il élabore pendant ses études un plan qui consiste à se constituer un capital en travaillant en tant qu’ingénieur pendant deux ans afin de pouvoir ensuite réaliser son projet. Il choisi de faire un travail bien rémunéré afin d’écourter cette période de préparation, dont il dit qu’il en a aussi tiré un bénéfice de reconnaissance sociale (“à une soirée, dire que t’es ingénieur ce n’est pas pareil que dire que t’es musicien ou autre”)

Par ailleurs il a souhaité réaliser un parcours duplicable, c’est à dire qu’il n’a pas eu besoin d’un gros capital (il aurait seulement mis un peu plus de temps à le constituer avec un travail alimentaire) et qu’il souhaite ne pas dépendre d’une source financière autre que son activité principale, celle-ci devant être économiquement viable dans le système économique actuel. Ce faisant il s’expose à de nombreuses contradictions, qu’il a plaisir à travailler, c’est à dire à chercher à les résorber tout en vivant avec.

Pour Alban son travail revêt une dimension politique à deux niveaux. Tout d’abord par ses choix des méthodes de production des légumes au travers d’une agriculture soutenable sur un temps long, et donc indépendante des énergies fossiles et donc peu mécanisé. Il souhaite créer un espace plus riche écologiquement que ce qu’il a trouvé. Par ailleurs l’objectif est de nourrir les personnes autour de lui et de tisser des liens avec eux. Il connaît le prénom de ses client, sait s’ils vont bien, leur donne un coup de main et réciproquement. Ce sont devenus des copains progressivement.

Ensuite il donne à son activité un aspect éducatif, de transmission. Il souhaite montrer que ce qu’il fait est réplicable et que c’est un métier accessible à tous. La documentation et le partage de ses techniques est une part importante de son activité (même si elle n’est pas valorisée financièrement), une forme de militantisme politique. C’est sa manière de participer au changement du monde.

Selon Alban l’activité qu’il mène est le meilleur moyen pour lui de contribuer à faire tomber le capitalisme, basé sur la rente et le salariat (qui est une forme d’esclavage) et qui considère que l’environnement est une ressource à exploiter.

Alban souhaite que ses besoins quotidiens ne dépendent pas d’un système qu’il ne cautionne pas. Mais son projet va au-delà d’un aspect vivrier. Il veut montrer que c’est possible de créer une activité soutenable et économiquement viable. Pour cela le fait d’avoir un impératif économique par rapport à sa production enrichit son projet, car il aime travailler les contradictions et les incohérences entre son idéal et ce qu’il peut effectivement faire dans le système économique et social existant.

De manière générale Alban cherche à générer le moins de phénomène d' »exploitation » possible. La recherche d’autonomie est un moyen de ne pas exploiter d’autres personnes, notamment sous la forme du salariat. C’est une des raison pour lesquelles il cherche à construire lui même ses bâtiments, à produire ses propres plants, à commercialiser lui-même sa production, etc.

Quand on discute de pourquoi certaines personnes qui ont une grande conscience de la dimension politique de leur travail continuent de vivre dans une dissonance cognitive, il dit qu’il a vécu la même chose au moment de quitter son travail d’ingénieur. Il n’arrivait pas à renoncer à ce confort et cette sécurité. Pour “se déplacer” et franchir le pas, il utilise une technique : il dit à son entourage ce qu’il veut faire, il se crée ainsi un contrôle social, car il est quelqu’un qui fait ce qu’il dit, et ce faisant il se contraint à faire les choses.

Alban se garderait de donner des conseils à ceux qui vivent une schizophrénie entre leur travail et leurs convictions, mais il imagine deux voies pour les transitions.  

  • La première est le burn-out, on s’autorise alors à prendre un chemin parce qu’il y a une rupture nette et parce qu’on n’a plus d’autre choix que de devoir changer
  • La seconde est de trouver des méthodes à soi pour se faire dévier. Une bonne piste est d’être fier de ce qu’on fait et de soi. Quand on est dans une dissonance cognitive on n’est pas fier de soi. Il faut donc recherche l’estime de soi et la cohérence.

La cohérence est quelque chose d’important pour Alban. Et aussi d’être bien conscient de ses incohérences pour travailler à devenir de plus en plus cohérent.

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